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Tomber amoureuse d’un volcan, 
ça peut arriver.
D’un volcan en particulier,
ou même 
des volcans en général.
Ça peut arriver 
à tout le monde, 
sans doute,
et c’est d’ailleurs ce qui arrive 
un peu à tout le monde 
dans l’Europe 
de 1800.
Dans l’Europe 
non volcanique, 
pour être précise, 
parce que
on tombe quand même 
plus facilement 
amoureuse des volcans 
si on ne vit pas 
juste en-dessous.
En Angleterre, 
en France 
ou en Suisse, 
par exemple,
plutôt qu’en Islande 
ou en Italie.
L’Europe 
non volcanique 
vers 1800
s’éprend 
donc 
des volcans. 
Ils sont partout. 
Ils sont dans des romans, 
comme Corinne ou l’Italie,
de Germaine de Staël, 
ouvrage «cosmopolite et féministe» 
selon le site de la Bibliothèque nationale de France.
Ils sont 
dans des parcs d’attractions, 
où on simule des éruptions
avec des dispositifs pyrotechniques 
sur des plans d’eau. 
Et ils sont 
dans la peinture. 
C’est ainsi que 
à Londres, 
en 1817, 
le peintre William Turner 
peint le Vésuve, 
qui est particulièrement à la mode. 
Il le peint 
en éruption, 
imaginant le jour 
où le volcan avait submergé de magma 
la ville romaine de Pompéi.
Turner peint, 
à vrai dire, 
toutes sortes de choses:
histoires bibliques, 
scènes mythologiques, 
incendies, batailles, naufrages en mer, 
carnavals de Venise, 
étals de poissonnières,
peu importe.
L’essentiel, 
pour lui, 
c’est le ciel.
Ciels troubles, 
empoussiérés d’orange et de rouge, 
baignés d’astres mourants, 
de soleils qui se couchent 
comme si c’était leur dernière nuit.
Ces éclairages évoquant 
une fin du monde qui s’éternise, 
c’est sa spécialité. 
On dit d‘ailleurs
encore aujourd’hui 
face à un couchant 
rougeoyant et voilé, 
on dit «Oh, regarde, un ciel à la Turner…»
Turner peint donc 
des sunsets à tout va, 
et en fait 
il ne le sait pas, 
mais il peint, 
en vrai, 
des aérosols.
Euh, 
si je dis «aérosols», 
vous pensez quoi?
Vous pensez sans doute, 
je parie, 
comme moi,
immédiatement, 
spray, 
bombe, 
pschitt. 
Mais lorsque la science dit «aérosols», 
elle pense à autre chose.
Elle pense aux particules fines 
en suspension 
dans un gaz qui les transporte 
et qui les met en circulation. 
Parmi ces particules 
aéroportées, 
on trouve de tout 
– pollens, 
spores de champignons, 
microalgues et bactéries, 
poussières et suies –
et parfois 
au milieu de tout ça, 
des sulfates, 
comme on dit, 
produits par les volcans en éruption.
C’est ainsi que, 
pendant 30 ou 40 mois, 
l’éruption du Tambora, 
dont je vous parlais 
il y a quelques arbres de cela, 
éruption dite 
«méga-colossale» 
dans le jargon des volcanologues, 
fait apparaître partout, 
des aérosols sulfatés 
qui font plusieurs fois le tour de la planète
dans la stratosphère, 
à quelques dizaines de kilomètres d’altitude, 
et qui troublent le ciel, 
donnant au couchant 
cette beauté maladive 
qui frappe Turner.
Turner qui peint 
sans faire le lien 
parce que 
de tout ça, 
comme ses contemporaines 
et ses contemporains, 
il ne sait rien.
Selon une étude 
réalisée en 2007 
par une équipe d’universitaires grec-que-s 
en comparant cinq siècles 
d’éruptions volcaniques 
et d’histoire de l’art, 
des dizaines de peintres
ont peint 
dans les ciels de leurs tableaux 
les effets d’éruptions lointaines
sans le savoir.
Ces choses se sauront, 
ces liens se feront, 
en effet,
beaucoup plus tard
et je vous en parlerai,
mais j’aimerais souligner 
pour l’instant, 
juste comme ça,
parce que c’est romanesque, 
un autre lien 
qui est en fait 
une coïncidence. 
À l’époque où l’Occident 
est en train de vivre 
une histoire d’amour romantique, 
artistique et culturelle,
avec les volcans, 
à ce moment-là 
précisément
se produit, 
à l’insu de tout le monde ou presque
la pire éruption volcanique 
de l’histoire humaine, 
une éruption dans laquelle 
le monde entier 
se trouve bientôt immergé, 
car les aérosols 
produits par le Tambora 
changeront non seulement 
les couleurs du couchant, 
mais aussi 
la lumière du monde, 
la température du ciel, 
la fréquence des pluies, 
comme on le constatera surtout, 
sans comprendre pourquoi, 
un an après l’éruption, 
en 1816, 
l’«Année sans été», 
dans laquelle je vous plongerai 
quelques arbres plus loin.





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